Pour le commun des mortels, la souffrance est une rencontre dont il convient de se préserver. L’inconfort et les douleurs qui l’accompagnent, encouragent le plus grand nombre à s’organiser en vue de l’éviter. Le sportif, et a fortiori le sportif de haut niveau, ne peut se permettre d’adopter ce type de raisonnement. C’est même exactement le contraire. Pour lui, la souffrance est une sorte de rendez-vous quotidien, nécessaire et convenu. En effet, c’est par l’intermédiaire de ses rencontres répétées avec cette dernière, que l’athlète s’assure des bénéfices ultérieurs, tant physiques que psychologiques, pour sa performance.
Dans le Sport & Vie n°127 (Juillet-Août 2011, p.40), Michel Dufour consacre le « dossier psychologie » du mois à ce thème, sous le titre : « No pain, no gain », en clair : « Pas de souffrance, pas de progrès ». Au cours de cet article, il nous raconte la relation particulière qui unit sportifs de haut niveau et souffrance et s’interroge sur les dangers potentiels à faire de la douleur « un art de vire » (p.41). Exemples à l’appui, il explique que le dosage est un exercice subtil d’autant que chacun ne part pas à égalité en ce qui concerne les seuils de tolérance à la douleur...
Un des passages rédigé par Michel Dufour a particulièrement retenu notre attention. Il explique : « Le point clé demeure que l’attitude du sportif envers l’inconfort est entraînable et qu’elle varie selon que l’athlète considère le mal d’entraînement comme évitable ou inévitable, choisi ou pas, mérité ou injuste, utile ou inutile. Lorsque l’athlète comprend et accepte le caractère désagréable de la situation, les chemins de progrès des performances sont moins chaotiques. Dès lors qu’il perçoit la pénibilité non pas comme un signal d’arrêt mais comme un signal d’entrée dans une zone déstabilisante source de progrès, la probabilité qu’il aille jusqu’au bout de lui-même est plus élevée » (p.44).
Ceux qui lisent régulièrement les notes de ce blog ne seront pas surpris par les propos qui vont suivre. Une fois de plus, tout n’est qu’une question de sens : lorsque la souffrance a un sens, elle n’est plus interprétée de la même manière. Elle ne s’apparente plus à une rencontre à éviter mais à une rencontre orchestrée, organisée, souhaitée en vue de dépasser ses limites, d’y puiser de la confiance et de faire naître le progrès. Les témoignages suivants le démontrent : Justine Hénin raconte : « Ce dont je me souviens maintenant, c’est du travail fait en décembre. J’en arrivais presque aux larmes. Mon préparateur physique m’a dit : « Tu te souviendras de ces moments là quand tu auras le trophée ». C’est vrai » (In Les sportifs de l’année, 2003, p.83). Ou encore Bouabdellah Tahri : « La vie, c’est ça, un thé au lait après la souffrance de l’entraînement, tout simplement. En Europe, on a oublié le bonheur de ces choses simples parce qu’on est parasité par tout un tas d’activités secondaires. Ici (Kenya), il n’y a que l’essentiel. C’est pour cela que je voulais venir, pas pour la carte postale. Mais pour me retrouver. Revenir à l’essentiel. Dormir, se nourrir, courir, souffrir » (L’Equipe, Vendredi 18 Février 2005, p.9).
Comme le souligne Michel Dufour, l’individu peut apprendre à souffrir. La tâche la plus ardue à mener pour l’encadrement ne sera donc probablement pas de parvenir à cet apprentissage, mais, d’accompagner le jeune sportif afin qu’il perçoive le sens de la douleur au cœur de sa performance. Lorsqu’un individu sait pourquoi il souffre et où cette souffrance le mène, dans les moments les plus difficiles, la douleur a plus de chance de devenir supportable. La souffrance devient désirée en vue des « effets subséquents ». C’est lorsque le sportif ne sait plus (ou pas) pourquoi il souffre que les ennuis commencent, pour lui, pour son encadrement, son club voire sa nation. C’est une des raisons fondamentales pour laquelle il faut toujours s’assurer, dès le plus jeune âge, que l’athlète dessine son propre chemin plutôt que d’en suivre un, imposé par d’autres.
Quand la souffrance n’a plus de sens, qui s’amuse à la côtoyer, à moins de vouloir se faire du mal et/ou d’appeler à l’aide? En début de note, nous parlions de la différence entre le commun des mortels et les sportifs de haut niveau au sujet de la relation à la souffrance. Elle trouve ses racines, vous l’aurez compris, dans la notion de sens. Si la plupart d’entre nous cherchent à éviter la souffrance, c’est qu’elle n’a pas de sens. A partir du moment où elle en revêt un, l’individu lambda se comporte différemment. Il suffit de regarder le nombre de participants dans des épreuves de marathon pour s’en persuader. Un sportif de haut niveau ne sachant plus pourquoi il s’impose autant de souffrance est en difficulté. C’est ainsi que certains s’arrêtent quelques mois ou mettent un terme à leur carrière. Quant au commun des mortels, s’il identifie des raisons valables à la souffrance en vue d’une quête à mener, il s’avère tout à fait capable de se l’imposer (même si ses seuils de tolérance seront différents). Sportif de haut niveau ou pas, pour les être humains que nous sommes, la situation pourrait se résumer ainsi : « Aide moi à comprendre pourquoi je souffre et si ça a un sens, je souffrirai ! ».